Les créations de l’avatar dans le monde virtuel et de l’IA dans le monde réel: À qui appartient le droit d’auteur?

présentation lors de la Conférence de la Chaire Wilson « Loi + droit d’auteur dans 10, 20, 30 ans » (24 janvier 2019)

Dans le cadre de ma thèse de doctorat portant sur « la loi applicable aux transferts des biens virtuels », la question s’est posée de savoir qui doit se voir reconnaitre la protection des droits d’auteur sur les objets virtuels. Une réflexion similaire se pose quant à savoir si les œuvres générés par les systèmes d’intelligence artificielle peuvent se prévaloir de la protection par le droit d’auteur.

Lorsque de nouvelles créations émergent et prennent de la valeur, la question de l’attribution de la propriété doit nécessairement se poser.

En 2010, on parlait beaucoup dans les journaux de la vente de la station spatiale virtuelle créée par l’avatar nommé Neverdie dans le monde virtuel Project Entropia qui s’était vendu pour 635 000$ US. Il y a plein d’autres objets virtuels qui se sont vendus et qui se vendent pour de petites ou grosses sommes d’argent dans de nombreux mondes virtuels.

Quand on parle de monde virtuel, on parle de jeu en ligne multijoueur dans lesquels l’avatar est envisagé comme une émanation virtuelle de son utilisateur. Il existe différents types de monde virtuel. Ceux qui nous intéressent pour les fins de notre question sont les mondes virtuels sans script dit « ouvert », dans lesquels le contenu du jeu repose essentiellement sur l’environnement et les objets virtuels créés par les utilisateurs via leurs avatars.

La question de la titularité des droits est légitime à se poser dans ce type de monde virtuel puisque le joueur a la possibilité de créer ses propres objets ou de personnaliser des objets existants au sein du monde virtuel et l’interrogation réside dans le fait de savoir si le joueur dispose des droits sur les œuvres qu’il a créées au sein du monde virtuel : doit-on le qualifier d’auteur? Ou l’objet virtuel ainsi créé fait partie de l’œuvre dans laquelle il évolue et appartient au développeur du monde virtuel?

Bien que les termes du CLUF attribuent au développeur le droit d’auteur sur tout le contenu du monde virtuel incluant les objets virtuels, dans l’affaire Midway[1], la Cour devait se pencher sur la question de savoir si finalement ce n’était pas le joueur, qui par son action de jouer créait la séquence d’images et réalisait ainsi une œuvre à chaque période de jeu. La Cour a décidé que l’effort créatif du joueur par le seul fait de jouer c’est-à-dire par son action à partir du contrôleur était insuffisant pour créer une œuvre lors de chaque période de jeu puisque le jeu lui donnait un choix limité dans le nombre de séquences. À contrario, dans les jeux sans script, l’objet virtuel est le produit de l’exercice du talent et du jugement de l’utilisateur qui l’a créé. Ce dernier pourra prouver qu’il est l’auteur d’une œuvre originale protégeable par le droit d’auteur, mais cela ne veut pas dire qu’il sera titulaire des droits d’auteur sur son œuvre, car il se verra confronté aux dispositions contraires du Contrat de licence d’utilisateur final (CLUF) qu’il a signé et qui impose la titularité de ces droits au développeur du monde virtuel. Donc, le juge devra analyser au cas par cas, la validité de ces clauses pour déterminer le véritable titulaire des droits d’auteur sur les objets virtuels ou même s’il s’agit d’une œuvre en collaboration.

La thèse de la copropriété dans les relations entre le développeur et les utilisateurs : que ce soit dans la création des objets virtuels ou même pour les créations générées par les SIA serait aussi une bonne solution, car le degré d’originalité dans la création de l’utilisateur dépend du mode de création des biens virtuels ou des œuvres générées par les SIA qui ont été créées au départ par le développeur. 

Dans le cadre de ma thèse, la question s’est aussi posée quant à savoir si on devait créer une fiction juridique, comme ce fut le cas pour les personnes morales, pour accorder la personnalité juridique à l’avatar afin qu’il soit lui-même reconnu auteur des objets virtuels.

Cette question s’est posée il y a une dizaine d’années alors même que l’avatar n’avait aucune autonomie vis-à-vis de son utilisateur. Depuis les deux dernières années (depuis que l’IA a pris de la puissance), les avatars apparaissent de plus en plus autonomes à l’égard de leurs utilisateurs et sont ainsi capables de réagir seuls face à l’environnement virtuel dans lequel ils évoluent et d’interagir avec les autres avatars, que leurs utilisateurs soient connectés ou non au monde virtuel. Donc on rejoint le débat voulant que l’IA soit elle-même auteur des œuvres qu’elles génèrent.

Pour la plupart des utilisateurs des mondes virtuels, dans les faits, les avatars sont perçus comme une identité autonome et indépendante de celle de la personne physique la contrôlant même si l’intention ou l’initiative de créer un objet virtuel dépend encore de la personne humaine.

Selon certains auteurs rien ne fait opposition à ce que l’avatar ou l’IA dispose d’une personnalité juridique, on pourrait ainsi utiliser l’expression d’une « personnalité virtuelle ». Le critère de talent et du jugement établi par la Cour suprême dans l’affaire CCH serait satisfait dans le cas où l’avatar ou l’IA fait preuve d’une assez grande autonomie pour prendre ses propres décisions et apprendre à partir de ses expériences.

Toutefois, en l’état actuel, la loi sur le droit d’auteur au Canada et la jurisprudence CCH de 2004 admettent directement ou indirectement[2] que seule une personne humaine peut se voir reconnaitre le statut d’auteur d’une œuvre originale.  C’est aussi ce qu’à rappeler la jurisprudence américaine dans l’affaire Naruto (2016) entourant un égoportrait prit par un singe, le singe ne peut recevoir le statut d’auteur, car le droit d’auteur se rapporte aux personnes humaines.

Donc dans l’état actuel du droit, la piste la plus plausible n’est pas d’accorder des droits à l’avatar ou à l’IA, car elle n’est pas une personne humaine. Le contraire supposerait une refonte de la loi sur le droit d’auteur dans ses termes et dans son esprit pour pouvoir déterminer le titulaire de ces droits, statuer sur le droit moral d’un robot ou d’un avatar et aussi de fixer la durée des droits ainsi accordés.

Ainsi, pour déterminer qui est l’auteur et le titulaire des droits d’auteur d’un objet virtuel ou d’une œuvre générée par un IA, on devrait plutôt tourner notre attention sur les intervenants qui ont créé ou activer la machine dans l’intention que cette dernière génère une oeuvre: le développeur ou l’utilisateur ou les deux dans le cadre d’une collaboration. Évidemment, ici on fait abstraction de liens contractuels ou des relations d’emploi entre ces intervenants, puisque ces derniers peuvent apporter ces éléments de réponse.

Dans le même esprit, une solution assez simple permettrait de rendre la loi sur le droit d’auteur plus claire à cet égard, en reprenant une disposition similaire du Copyright, Designs and Patents Act du Royaume uni de 1988, repris par la Nouvelle Zélande et l’Irlande qui indique (et je traduis en Français) : “Dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre sera réputée en être l’auteur.”

Par ailleurs, à l’article 178, cette même loi précise qu’on entend par “œuvre créée par ordinateur” toute “œuvre créée par ordinateur dans des conditions excluant toute intervention humaine.”

Cette disposition a pour but de créer une exception à l’exigence de paternité humaine de l’œuvre en reconnaissant la somme de travail investie dans la conception d’un programme capable de donner naissance à une œuvre, même si l’étincelle créatrice provient de la machine elle-même. Donc l’auteur serait soit le développeur du SIA ou le fabricant du robot ou l’utilisateur ou les deux, ce sera déterminé au cas par cas.

Cette solution parmi d’autres a été mise de l’avant aussi par le texte récent de Georges Azzaria dans les Cahiers de la propriété intellectuelle et dans le rapport de l’OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle) qui s’est prononcé en octobre 2017 sur la question de l’IA et le droit d’auteur.

[1] Midway Mfg. Co c. Arctic International Inc., 704 F.2d 1009 (7th Cir. 1983), citée dans L.-P. Gravelle et J-F. Journault,

[2] C’est toutefois indirectement induit de plusieurs dispositions telles que pour obtenir la protection du droit d’auteur, la loi indique que l’auteur doit être citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataires (art.5(1) LDA) ou même la référence au droit moral  qui concerne la personne même de l’auteur dont celui qui porte sur son honneur ou sa réputation, ou encore la durée du droit d’auteur qui s’étend sur les 50 années qui suivent le décès de l’auteur. Aussi, l’originalité d’une œuvre réfère à la personne, car dans l’affaire CCH de 2004, la cour suprême estime que pour qu’une œuvre soit originale elle doit faire preuve d’un exercice de talent et de jugement qui implique nécessairement un effort intellectuel. 

Ce contenu a été mis à jour le 7 mai 2019 à 17 h 08 min.

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